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Réservez votre billet RETOUR à la programmationLou Doillon – Soliloquy
Un monologue, c’est lorsqu’on parle tout seul à l’adresse de quelqu’un. Un soliloque, c’est lorsqu’on se parle à soi-même. Visiblement, Lou Doillon avait beaucoup de choses à se dire, mais par chance elle a aussi voulu les partager avec nous, les mettre en musique, les jeter en pâture à certains des producteurs français les plus audacieux et franchir une nouvelle étape dans une carrière de chanteuse qui ne cesse d’étonner. Après l’inaugural Places en 2012, confié aux soins d’Etienne Daho, puis Lay Low trois ans plus tard, où elle déménageait son petit monde sensible chez le Canadien Taylor Kirk (Timber Timbre), voici donc Soliloquy, troisième album d’une auteure/compositrice qui n’aime rien tant que bousculer ses habitudes, fuir le confort, remettre en jeu ses trophées chèrement acquis.
Cet amour du risque l’a conduite par exemple, fin 2017, à embarquer pour un 3 Ring Circus avec John Grant et Richard Hawley, chassez-croisés de concerts solos des deux côtés de la Manche, sans protection, son chant de passionaria rauque et une guitare pour seules armes de séduction. A l’approche de ce nouvel album, c’est à un exercice d’équilibriste assez proche auquel Lou s’est livrée, en enregistrant une série de démos avec seulement une batterie et des riffs de guitares, live avec deux musiciens, dans une veine rêche et sèches héritée des White Stripes et des Black Keys. Ces chansons écrites en tournée, de chambre d’hôtel en trajets en bus, pour combler le blues des attentes et la mélancolie des départs, il y avait nécessité à les faire jaillir comme ça, mal peignées, sur la brèche instable des premières prises, sans calcul ni temps de recul. Lou entend désormais assumer une part de violence, d’urgence, d’envie de taper dans les portes et, pourquoi pas, de se remettre complètement en question. Dans les nouvelles chansons, elle l’assure, il y a les signes de ce changement. Elles sont plus sensuelles, plus sexuelles parfois, plus animales assurément, avec du sang, de la salive, moins d’effacement et d’évanescence, et il faudra à tout prix une enveloppe musicale à la hauteur de cette osée métamorphose.
Avec ses démos incandescentes sous le bras, elle pousse d’abord la porte de l’antre chaotique de Benjamin Lebeau, moitié de The Shoes, qui vit la musique comme une atomisation permanente, dans un hangar mal chauffé où l’on pratique les chocs thermiques les plus puissants de la scène française. Ensemble, ils vont mettre en chantier quatre chansons comme autant de d’immolations sonores, dont un Burn ardent où grondent des guitares post-punk et des frottements industriels derrière la voix de Lou qui n’a jamais parue si sûre d’elle et de ses pouvoirs magnétiques. Il y a aussi Brother, où là ce sont des riffs saccadés qui se font happer par des cordes orageuses, le souffle tournoyant des tempêtes martelé par une batterie de l’enfer. A 36 ans, Lou Doillon laisse désormais loin derrière elle cette fille docile à la guitare, planquée dans le fond en attendant qu’on la regarde. Ici, comme sur scène depuis ses débuts, elle est à l’avant, à l’abordage, et sans rien perdre de son charme indolent elle encaisse des avaries soniques avec l’assurance d’une guerrière. Lebeau l’entraine aux étreintes viriles d’un reggae urbain digne des Specials (Last Time) et elle ne faiblit pas sous le tangage. Avec Flirt, où elle assure incarner « le sale type qui drague », Lou est un peu Lou Reed sur la « Wild side », glissant sur les tessons de sons comme une comtesse aux pieds nus qui aurait également les traits de Patti Smith.
« Travailler avec Benjamin, dit-elle, c’est comme donner ses chansons à Jackson Pollock », alors pour contrebalancer telle effusion, elle confie une autre partie de la production à Dan Levy (The DO), certain que son approche plus posée, plus cérébrale, de l’agencement sonore provoquera de beaux contrastes. Aux manettes sur trois chansons, Levy œuvre en effet plus volontiers en douceur, mais ce sont des leurres de Lou qui agissent sur All These Nights, avec sa belle mélodie bleutée qu’enveloppe un feu follet de synthés et que rythme une batterie au cœur léger, tant la chanson semblent nous faire au contraire des confidences de première importance. « J’ai pour la première fois eu envie d’écrire sur des choses communes, des petits détails, c’est ce qui manque le plus lorsque les gens ne sont pas là. Ce sont elles aussi qui nous définissent, plus que les choses exceptionnelles. » Lou a lu le journal de Sylvia Plath, les correspondances de la romancière autrichienne Ingeborg Bachman et de l’écrivain suisse allemand Max Frisch, amoureux au début des années 60, ou encore les mémoires de Simone de Beauvoir, comme pour s’imprégner de ces femmes fortes qui furent aussi des amantes modernes et des féministes sans barbelés. Avec Widows, confié également à Dan Levy, c’est une congrégation de veuves qui défile sur une musique martiale, évoquant les films gothiques italiens des années 70 et leurs soundtracks baroques. Plus planant et ourlé au départ, Nothings est une infusion lente encore signée Levy et ses synthés qui finissent toujours par s’emballer en torches bruitistes.
Les autres chansons du disque, d’obédience plus classique, Lou Doillon s’est convaincue de les réaliser elle-même, en duo avec des partenaires de choix. Un duo, justement, le plus beau qui soit, est né de sa rencontre virtuelle, via Instagram, avec Chan Marshall (Cat Power). Enregistré à distance entre Paris et Miami, le délicat It’s you est une épiphanie à deux voix, un moment de pure élévation fantomatique, où le jeu des transparences provoque une illusion troublante. Sur les autres titres, c’est avec Nicolas Subréchicot, son clavier sur scène et multi-instrumentiste de l’album, que Lou a fait équipe, embarquant François Poggio à la guitare. Leur belle entente télépathique fait ainsi des merveilles, au ralenti sur Soliloquy, à la vitesse d’une cavalcade sur Too much, enfermé dans un cocon de sons hivernaux sur Snowed in ou de façon plus théâtrale et aguicheuse sur The Joke, qui croise Dorothy Parker et les comédies musicales et, un peu aussi, l’atmosphère plantureuse des derniers PJ Harvey. Finalement, en trois îlots différents reliés par sa personnalité et sa voix, Lou n’a pas parlé seule très longtemps, et très longtemps en revanche cet album va nous parler.
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