Le concert de Laetitia Shériff prévu le 20 mai est annulé.
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Le quatrième album de Laetitia Shériff s’intitule Stillness, et il prend la forme d’un miroir. Il a fallu du temps pour polir ce disque-là : poser son fardeau, se reposer, reprendre son souffle, avant d’assembler les chansons comme on construit un feu.
Avec des bribes de phrases, collectées et archivées, des mots trouvés ou inspirés par des lectures, choisis et longuement soupesés, puis mis au chaud, Laetitia a fait des provisions. Reste à composer le puzzle. Celui-ci prend la forme d’un visage, le sien. Le contraire du miroir aux alouettes que nous tendent les réseaux sociaux, où l’on se voit toujours tel que l’on n’est pas. Ici le portrait est celui de Laetitia Shériff, dans sa vérité, mais peut aussi servir à qui veut : le miroir contient en puissance tous les visages humains.
Stillness parle du besoin de se retrouver. C’est un combat car, en ces temps troublés, tout nous éloigne de nous-même et tout nous disperse. Voilà pourquoi Stillness, s’il est recherche de calme et de sérénité, est aussi un cri de révolte contre tous les conditionnements, contre l’oubli et la passivité, qui sont les formes de l’abandon de soi.
Le titre pose une énigme : le calme dont il est ici question est à la fois celui de l’eau, qui doit s’apaiser pour refléter, mais aussi celui, trompeur, d’avant la tempête. Stillness est tour à tour apaisé et rageur, méditatif et envoûtant, ou férocement électrique. A l’image de Laetitia, figure remarquable d’une certaine scène pop rock où elle brille par sa longévité et sa constance, la sincérité de sa démarche, et une recherche toujours renouvelée.
Avant, elle a beaucoup voyagé, que ce soit en solitaire, en bonne compagnie avec le collectif Trunks (Use Less en 2007, et On the Roof en 2011), croisé Noël Akchoté, Lydia Lunch & Bibbe Hansen dans des workshops, ou travaillé dans la proximité de chorégraphes ou de metteuses et metteurs en scènes. Sur Stillness, elle s’entoure de nouveau de son compagnon Thomas Poli (Montgomery, Dominique A, ESB) aux guitares et au synthétiseur analogique et de Nicolas Courret (Bed, Headphone, Eiffel) à la batterie. La rennaise reste fidèle à sa méthode : le disque a été enregistré dans les conditions du live, au plus fidèle, à l’émotion, entre énergie brute… et extrême sophistication du son, car réalisé par Thomas Poli, qui a l’âme et les doigts d’un orfèvre.
Et qu’entend-on ? Des guitares en open, décharnées, voire à l’os, qui évoquent parfois les moments épileptiques d’un Neil Young, une batterie sobre et précise, d’une classe presque janséniste, pour des titres rêches, pleins d’échardes et de rage. Et puis, soudain, la clairière s’éclaircit et tout est plein de lumière : des arrangements en formes d’arabesques nous plongent dans la rêverie, voire dans la féerie, et évoquent les tapisseries fines de Broadcast. Car le monde de Laetitia Shériff est peuplé de multiples références, comme Oh Sees, Sunn O))), Jason Loewenstein de Sebadoh, David Bowie, autant de totems personnels, qu’elle partage sûrement avec Kurt Vile ou Courtney Barnett… Sur ces 10 titres pop plane aussi l’ombre de grands oiseaux motoriques comme Can ou Beak, ou tombent des pluies cinglantes à la Shellac ou Tropical Fuck Storm. On pense souvent à Shannon Wright pour cet équilibre yogique entre électricité et méditation, décidément au centre de tout.
Humaniste, grande admiratrice d’Edgar Morin, de Nadia Murad ou Denis Mukwege, lectrice d’Henry David Thoreau, Laetitia Shériff partage avec une autre de ses grandes influences, Patti Smith, le goût d’un rock pétri de conscience. Pour Patti Smith, le rock est une forme de spiritualité. Il y a quelque chose de cet ordre dans ce disque en clair-obscur : colère et apaisement sont les deux faces du même visage. Appel à l’union, à l’insurrection des consciences (People rise up), visions crépusculaires et peut-être prophétiques (A Stirring World, Deal with this), profession de foi pacifiste (Ashamed, Stupid March) thème récurrent de la chute, de l’élévation, quête d’une deuxième innocence (Pamper yourself), et accents permanents de combat : le disque tout entier est hanté par l’urgence de l’éveil. Il faut ouvrir les yeux, parfaits miroirs du monde.
A la fois retrouvailles avec soi-même et cri de révolte, Stillness est, comme tous les miroirs, à double tranchant : tourné vers soi, il nous redonne conscience. Retourné vers le monde et les autres, il pose une question : où est le reflet commun de notre humanité ?
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