
Abonné : 12 € / Réduit et CE : 14 € / Prévente : 16 € / Sur place : 19 €
Réservez votre billet RETOUR à la programmationLes présenter une énième fois serait leur manquer de respect. Mais rappeler pourquoi ils sont importants ne peut pas faire de mal. Historiquement liés à la montée de puissance de Born Bad Records, dont ils furent la toute première sortie, les membres de Frustration font figure de grands frères bienveillants de toute la scène indé française. Leur parcours même est symbolique : issus du milieu garage qui tournait en circuit fermé dans les années 90, ils ont délaissé le rock à tatouages/gomina pour tenter autre chose – un truc à la croisée du punk et de la cold wave, de Metal Urbain, Killing Joke, et Joy Division – quand nous redécouvrions tous le patrimoine « synthwave » de la France à travers les compiles BIPPP ou Des Jeunes gens mödernes. Et cinq mecs pas vraiment réputés pour être des dieux de la technique se sont retrouvés investis d’une grâce étrange, entre l’éclosion du génie et l’alignement de planètes : devenus avant-gardistes à la quarantaine commençante, ils ont montré le chemin comme si de rien n’était à toute une génération de groupes qui a pris conscience que oui, c’était possible, ici-même, dans l’Hexagone maudit. Succès critique, grosses ventes, public déchaîné. Le reste est de l’histoire.
Depuis, il faut bien dire que la nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Quand on en a eu marre de lire dans la presse musée-rock que rien de bon ne s’était enregistré depuis 1967, on s’est dit qu’on avait peut-être mieux à foutre dans la vie, tout bien pesé, que de choisir la couleur des tapisseries et des cravates italiennes. Et qu’il était temps de replonger dans la fosse, sans se retourner, pour s’assourdir avec quelque chose qui nous appartient. Si l’excitation qui entourait le retour du garage commence à s’essouffler à force de copulation du genre avec lui-même (le prochain groupe qui vient nous jouer le répertoire de Thee Oh Sees a perdu), l’excitation est toujours là, comme au premier jour, à l’heure d’écouter Empires Of Shame, le troisième album de Frustration. « Seulement » le troisième d’ailleurs, en presque quinze années d’existence, comme il sied aux groupes qui ne surfent sur aucune vague, mais creusent avec obstination le même pas-de-vis dans le mur porteur de la légende, pour y accrocher, une fois l’oeuvre finie, la médaille du meilleur ouvrier.
Après avoir concassé des montagnes entières sur Relax (2008) et défriché de pleins continents de forêts vierges avec Uncivilised (2012), le quintet se propose de terraformer Mars par projection d’énormes morceaux de banquise, avec cet opus qui se présente, dans un premier temps, comme un retour au froid et à l’antipathie – celle des punks à costumes douteux qui prenaient des noms de capitale polonaise. « Dreams, Law, Rights and Duties », « Just Wanna Hide », et « Excess » servent de béquille dans le genou en guise de bienvenue sur le terrain de jeu de Fabrice, dont la voix parcourt les registres comme un ninja les forêts de bambou, du vague-à-l’âme curtissien au crachat cockney, pour une enfilade de tubes comme on en voit rarement. « Arrows Of Arrogance » marque la pause, mais cette étonnante balade quasi-smithienne sur fond de boucles plaintives, et qui finit en chant prolétaire, est un des sommets de l’album. « Mother Earth In Rags » sera officiellement un tube, tant sa harangue est baroque, théâtrale comme un discours de Lénine dans un opéra sur le communisme ; « Cause You Ranaway » montre que les mecs ont aussi, peut-être, écouté James Murphy ; et « No Place » (censé avoir été composé à la dernière minute pour faire le nombre), se révèle un tube synth-punk-noise qui générera des pogos monstres en fin de concert.
Frustration est donc un lion d’âge adulte qui n’a pas du tout l’intention de finir en descente de lit, et de subir les injures du pot de chambre. Il paraît que des roquets dont tout le glapissement ne porte que par la grâce de l’amplificateur médiatique, et qu’on désarmerait tout à fait en leur ôtant leur MacBook, continuent de parler du bon temps d’avant. Le roi de la jungle est venu remettre de l’ordre dans la savane, en rappelant aux touristes qu’on ne vient pas chez lui en observateur, comme dans un vulgaire parc naturel. Et l’histoire du rock peut bien aller se gratter, car nos nerfs amollis veulent se tendre encore une fois, et nos voix se perdre, et nous voulons bien refaire une centaine de stage-dive foireux si c’est pour revoir Frustration mettre une salle en transe comme à la dernière Villette Sonique, avec Sleaford Mods, leurs camarades de social-class.
C’est pour cela, uniquement pour cela, que nous acceptons de nous abandonner à la musique, cette chose intrusive qui ne nous demande jamais notre avis. Le reste, c’est le bruit blanc des discussions vaniteuses, qui surcharge le fil d’actualité de nos âmes. De la merde, quoi.
Pierre Jouan
(c)TitouanMassé
Ils avancent à bas bruit, sournois et menaçants comme cette époque incertaine. Les morsures, multiples, n’en seront que plus terribles. Celle des guitares qui cisaillent méthodiquement l’espace, celle d’une rythmique qui tranche à vif, et cette voix convulsive, belliqueuse, qui ne lâchera le morceau qu’une fois vaincu, exsangue, au terme d’un assaut éclair. Post-punk, post-funk et post-moderne, Serpent déchiquette aussi les étiquettes, et ce premier EP sans sommation porte un nom de manifeste : Time for a rethink (Il est temps de repenser). Remise à zéro, certains parmi ces cinq assaillants étaient en recherche d’une pulsion primitive, comme on le dit du cerveau lorsqu’il ne fonctionne qu’à l’instinct. Parmi eux, on reconnaîtra Mathieu Lescop, chanteur échappé jadis d’Asyl et qui a depuis réussi l’épineuse équation d’une cold-wave française aux réchauffements pop sur deux albums (Lescop et Echo) remarquables et remarqués. En parallèle à cette voie solitaire, qu’il poursuit sans presser le pas, Mathieu Lescop cherchait à retrouver l’excitation jouissive de l’électricité, de l’écriture collective et intuitive sans cadastre et à assouvir par là des envies d’embrasements. En mai 2019, il se retrouve en salle de répétition avec son batteur habituel, Wend Kill, les deux guitaristes Martin Uslef et Adrian Edeline, le bassiste Quentin Rochas, tous issus d’un collectif de jeunes musiciens éclectiques et hyperactifs qui jouant déjà ensemble dans diverses formations, les titres jaillissent comme des fluides venimeux trop longtemps retenus. La vitesse, l’intensité, une certaine forme d’insouciance, les guident dans cette jungle sonique quelque part entre Gang Of Four, A Certain Ratio, Devo ou les Public Image Limited. Tous ont aussi en tête les répliques contemporaines de ces chocs thermiques punk-funk ou noise-cold, des Canadiens de Crack Cloud aux Anglais de Life ou HMLTD en passant par les Brooklyniens de The Rapture.
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